Uber, Deliveroo, Bolt : l'UE veut améliorer le statut des travailleurs des plateformes numériques

Maëlane Loaëc (avec AFP)
Publié le 9 décembre 2021 à 14h48

Source : JT 20h Semaine

DROIT DU TRAVAIL - La plupart des travailleurs des plateformes numériques sont aujourd'hui indépendants, et ne disposent donc pas de nombreux droits du travail. Pour contrer le problème, Bruxelles propose une directive inédite qui pourrait faire passer de millions de personnes sous le statut de salarié.

Depuis plusieurs années, les affaires judiciaires pleuvent autour des travailleurs des plateformes numériques, comme celles de livraisons de repas ou véhicules avec chauffeur (VTC) - Uber, Deliveroo ou encore Bolt. Couverture sociale, congés payés, prestations chômage : étant traités comme indépendants par défaut, ces millions de livreurs et chauffeurs peinent à bénéficier du droit du travail comme n'importe quel employé. Des tribunaux nationaux ont rendu dernièrement plus d'une centaine de décisions sur cette question, et que des centaines d'autres sont toujours en attente. 

Si les jugements, de l'Espagne aux Pays-Bas, ont pour la plupart requalifié comme salariés les travailleurs concernés, d'autres décisions vont en sens contraire : un tribunal belge a débouté mercredi 8 décembre plusieurs dizaines de coursiers Deliveroo, refusant de reconnaître que la plateforme leur accordait un contrat de travail. En France, Uber fait l'objet depuis 2015 d'une enquête pour "travail dissimulé" sur ses chauffeurs VTC.

Et ces plateformes comprennent aussi des services en ligne, comme la traduction : en tout, ce secteur regroupe quelque 500 entreprises et 28 millions de travailleurs en Europe. Selon la Commission européenne, ce chiffre pourrait même grimper à 43 millions à l’horizon 2025, et actuellement, 5,5 millions de personnes seraient qualifiées à tort d’indépendant, estime-t-elle. Face à l’ampleur du phénomène, elle souhaite clarifier leur statut et a dévoilé jeudi un arsenal de propositions, notamment la mise en place de critères à l'échelle de l'UE pour déterminer si ces travailleurs sont salariés.

Cinq critères précis pour juger si un travailleur est salarié d'une plateforme

Bruxelles souhaite désormais que ce soit les entreprises qui prouvent que leurs recrues ne sont pas des salariés mais des indépendants. Car pour l’heure, si un livreur de repas se blesse pendant sa course par exemple, c’est à lui de prouver devant la justice qu'il n'est pas indépendant pour recevoir une indemnisation de la part de l'entreprise, relève franceinfo.

Pour ce faire, la Commission a donc a fixé cinq critères bien définis pour déterminer si une personne embauchée est salariée ou non : le fait qu'une plateforme fixe via son application les niveaux de rémunération, supervise à distance les prestations, laisse ses employés libres de choisir leurs horaires ou de refuser des tâches, impose le port d'uniforme, ou encore interdit de travailler pour d'autres entreprises.

Il suffit qu’au moins deux critères soient remplis pour que la plateforme soit "présumée" employeur, et qu’elle doive ainsi se soumettre aux obligations du droit du travail qui s’appliquent dans chaque pays concerné : le salaire minium, le temps de travail, les normes de sécurité à respecter, des congés payés, des prestations de chômage, des pensions de vieillesse…

Autre proposition de l’UE : imposer davantage de transparence sur le fonctionnement des algorithmes des applications, en informant les travailleurs sur la façon dont leurs tâches sont réparties et leurs primes attribuées. Une proposition visant à lutter contre l’opacité de fonctionnement de ces plateformes, d’autant plus quand elles existent dans plusieurs États membres.

Parallèlement, l'UE propose aussi de nouvelles "lignes directrices" pour améliorer les conditions des indépendants, en leur ouvrant le droit à des négociations collectives de quoi respecter "la flexibilité et la grande diversité des plateformes", assure l'eurodéputée de droite Anne Sander du Parti Populaire européen.

"Victoire historique pour 4,1 millions de travailleurs"

Cette régulation du statut des travailleurs est d’autant plus importante que "les plateformes jouent un rôle crucial dans l'économie", a fait valoir le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis. Entre 2016 et 2020, leurs recettes à l'échelle européenne "ont presque été multipliées par cinq, passant de 3 milliards d'euros estimés à environ 14 milliards d'euros", épingle Bruxelles dans son communiqué.

"Les personnes au cœur de leur modèle économique méritent des conditions de travail décentes, et nos propositions apportent de la prévisibilité aux plateformes", poursuit Valdis Dombrovskis. La Commission assure ainsi que ces "critères clairs" offriront aux entreprises concernées "une plus grande sécurité juridique et des frais de contentieux moins importants"

"Victoire historique pour 4,1 millions de travailleurs qui pourraient devenir salariés !", s'est réjoui quant à elle sur Twitter l'eurodéputée Leila Chaibi du groupe de la gauche, initiatrice d'une résolution parlementaire réclamant que les travailleurs n'aient plus à prouver leur lien de subordination à leur employeur en cas de litige.

Les plateformes grincent des dents

Mais le projet de la Commission européenne doit encore être approuvé par les États membres, le Parlement et le Conseil européens. Pendant ce temps-là, les plateformes sont donc déjà montées au créneau, notamment parce que la mesure implique des dépenses importantes pour les entreprises concernées. 

Selon le projet de directive, la "présomption de salariat" coûterait aux plateformes quelque 4,5 milliards d'euros par an, une somme récupérée quasi en entier par les États membres sous forme de recettes, impôts et cotisations sociales, relève franceinfo. Quant aux clients, le prix des courses pourrait bondir de 24,5% selon Eurostat. 

Les plateformes s'opposent aussi farouchement à toute requalification des travailleurs car des critères vagues pourraient entraîner une multiplication des procédures judiciaires, avec "des conséquences désastreuses pour les travailleurs, les restaurants et l'économie", estime la fédération Delivery Platforms Europe. Elle pointe une étude du cabinet Copenhagen Economics prédisant qu'un tel scénario obligerait quelque 250.000 livreurs et 136.000 chauffeurs dans l'UE à quitter le secteur.

"Les propositions de la Commission pourraient avoir l'effet inverse [qu'escompté], en mettant en péril des milliers d'emplois, plombant les petits commerces en pleine pandémie, et menaçant des services aux consommateurs", abonde un porte-parole d'Uber, jugeant que ses travailleurs sont attirés par la "flexibilité" des tâches. Dans un communiqué, la firme argue ainsi que selon de récentes études indépendantes montrent que les chauffeurs préfèrent rester indépendants. 


Maëlane Loaëc (avec AFP)

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